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Comment une banque suisse blanchit son nom sur internet

Le bâtiment de la CBH à Genève. [RTS]
Le bâtiment de la CBH à Genève. - [RTS]
Grâce à l’utilisation d’une entreprise de e-réputation, la compagnie bancaire helvétique CBH nettoie son passé. Son nom est vierge de tout scandale sur internet. Cette banque privée genevoise est pourtant citée dans de nombreux articles sur des scandales de corruption. La FINMA l’a épinglée à plusieurs reprises pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent.

En cherchant "CBH compagnie bancaire helvétique" sur Google, seuls des articles élogieux apparaissent dans les trois premières pages de résultats du moteur de recherche. La CBH apparaît comme une banque privée familiale basée à Genève avec une réputation sans tache.

Aucun article ne mentionne les scandales au Venezuela, aucun article ne parle des enquêtes de la justice, aucun article ne parle de la FINMA. Pourtant, ces articles existent. La banque a été épinglée par la FINMA. Elle a reçu plusieurs blâmes du gendarme financier suisse pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent. Il convient toutefois de préciser qu’elle n’a pas été condamnée pénalement en Suisse.

Dans mon journal, nous avons reçu des courriers de menaces d’Eliminalia. (...) C'est très inquiétant sur le plan de notre sécurité. Evidemment j’ai eu peur.

Patricia Marcano, journaliste pour le média d’investigation Armando au Venezuela

La journaliste Patricia Marcano travaille pour le média d’investigation Armando au Venezuela. Elle a réalisé plusieurs enquêtes sur des affaires de corruption de hauts fonctionnaires. Ces individus ont utilisé la banque privée genevoise CBH pour payer des pots-de-vin et pour blanchir de l’argent.

"Dans mon journal, nous avons reçu des courriers de menaces d’Eliminalia. On nous demandait d’effacer les articles sous peine de sanction judiciaire. Eliminalia se présentait comme représentant de la compagnie bancaire helvétique CBH. Cette menace est une tentative de censure. Au Venezuela, ce type de menace est parfois lourd de sens. C'est très inquiétant sur le plan de notre sécurité. Evidemment, j’ai eu peur", témoigne-t-elle.

Les menaces n’ont pas fait plier la journaliste. Patricia Marcano n’a pas accepté de retirer l’article. Face à ce refus, Eliminalia a envoyé d’autres courriers de menaces en usurpant le nom de l’administration de l’Union européenne. L’entreprise de e-réputation a également utilisé des techniques informatiques pour supprimer directement l’article. Elle a fait des fausses demandes de droits d’auteurs, une technique connue sous le nom de "retour vers le futur"

>> Lire : Eliminalia, "un tueur à gages numérique" pour effacer ses traces sur internet

Plusieurs enquêtes en cours

Selon les documents confidentiels, Eliminalia a supprimé ou cherché à effacer plusieurs dizaines de pages internet et des articles de médias défavorables à banque CBH. Plus de 200'000 francs ont été payés par CBH à une firme de e-réputation. Le contrat a été signé avec ReputationUP, une entreprise partenaire d’Eliminalia.

La banque a utilisé des méthodes pour occulter des informations vraies, cela me parait très risqué en termes de normes légales et je pense qu'elle va avoir des comptes à rendre à la FINMA.

Sébastien Fanti, avocat spécialiste dans le numérique

Contactée, la banque CBH a refusé toute interview face caméra. Par courriel, la banque privée genevoise explique: "CBH Compagnie Bancaire Helvétique SA travaille avec ReputationUP, une compagnie de management de réputation sur internet. (…) Le contrat est limité à la mise en application des droits de CBH en accord avec les lois en vigueur. CBH n’a jamais accepté qu’une partie ou que toute la mission soit sous-traitée à Eliminalia."

L'entrée de la Compagnie Bancaire Helvétique à Genève. [RTS]
L'entrée de la Compagnie Bancaire Helvétique à Genève. [RTS]

Dans un autre courrier, la banque explique n’être plus active au Venezuela. Elle n’a pas été condamnée pénalement en Suisse. Plusieurs enquêtes, notamment aux Etats-Unis, sont toujours en cours et ne visent pas directement la banque, mais certains de ses clients.

"Pas une situation de droit à l'oubli"

Lors des échanges de courrier avec la RTS, la banque privée a également ajouté: "CBH considère que l’inclusion de son nom dans un article concernant Eliminalia serait une attaque contre sa réputation et que la banque réagira contre cela avec tous les moyens légaux nécessaires."

La RTS considère que cette information - le nom de la banque - relève de l’intérêt public. De plus, le nom est nécessaire afin de ne pas mettre l’opprobre sur d’autres banques privées genevoises qui n’utilisent pas ces méthodes.

Sébastien Fanti, avocat spécialiste dans le numérique, précise: "Nous ne sommes pas du tout dans une situation de droit à l’oubli. Ici, la banque a été mentionnée dans des enquêtes de justice à l’étranger, elle est au cœur de procédures réalisées par des autorités de régulation financière."

Pour l’avocat, la banque CBH est susceptible de sanctions de la part de la FINMA, l’autorité de régulation suisse. "La banque a utilisé des méthodes pour occulter des informations vraies, cela me parait très risqué en termes de normes légales et je pense qu'elle va avoir des comptes à rendre à la FINMA."

Après la diffusion de cette enquête, la banque CBH, par l’intermédiaire de son avocat, a demandé de modifier sa prise de position face à nos révélations.

Voici la déclaration officielle de la banque: "CBH n’a jamais mandaté Eliminalia ni été mise au courant qu’elle avait en réalité été sous-mandatée par ReputationUp. CBH est scandalisée des pratiques apparemment utilisées par Eliminalia et les condamne avec la plus grande fermeté."

François Ruchti, en collaboration avec Forbidden Stories

Retrouvez l'enquête complète dans Mise au Point dimanche à 20h10 sur RTS 1.

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